26/04/2012

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Promenade insolite : Argouges, conte de fée

Bertrand Levasseur, 55 ans, son épouse Laure et leurs trois enfants, Corentin, Clarisse et Florian, font vivre ce haut lieu chargé d’histoires, vieux de plus de 1200 ans.

Bavard, conteur, "chevalier" au grand coeur : au manoir d’Argouges, près de Bayeux, la fée a trouvé son maître…

Le vent s’engouffre sous le porche humide. Et lui est un tourbillon, un vrai moulin à paroles qui ne craint ni les bourrasques, ni les coups de vent. Laure, la femme de Bertrand, les "chocapic" dans le coffre de la voiture, parle d’un lieu qui l’habite, un "lieu rude aussi, avec plein de courants d’air". Il fait la moue : allons, allons… ce n’est pas une tempête qui va refroidir l’enthousiasme du "seigneur" d’Argouges, propriétaire des lieux.

Il a coutume de dire qu’on "entre en patrimoine comme on entre dans les ordres". Jolie métaphore pour dire son étonnant parcours d’homme de pub, ancien juriste qui rêvait de devenir juge d’instruction et s’inventa châtelain. Nous sommes à Vaux-sur-Aure, en plein Bessin, vieux manoir étrange de légèreté, mélange saisissant de Renaissance et de Moyen-Age, fief depuis la nuit des temps d’une des plus vieilles familles normandes, les Seigneurs d’Argouges et dont l’histoire est étroitement liée à la légende de la célèbre Fée. Il fut longtemps, très longtemps inhabité.

Il suffira d’un signe…

Pensez donc : on n’avait pas ouvert la porte du logis seigneurial depuis près de 500 ans avant que Bertrand, Versaillais bon teint, à la recherche de son conte de fée, ne pointe le bout de son nez sous le porche. Témoins à la barre, racontez ce que fut cette première rencontre avec le joli château : "Deux de mes amis qui m’accompagnaient ce jour-là, en 1981, peuvent le confirmer : en arrivant ici pour la première fois, j’ai pu décrire avec précision tout l’intérieur du manoir avant même d’y être entré".

C’est un signe, lui qui croit aux "vibrations". Un signe de Dieu allez savoir. La philosophie du "Seigneur" d’Argouges, chevalier des temps modernes, est un peu celle-là : être le dépositaire d’un patrimoine qu’il laissera un jour en héritage à Dieu sait qui, faire en sorte qu’un site historique "qui fédère" puisse aussi se partager. C’est le sens de sa vie de châtelain au grand coeur, conteur, bateleur et batailleur, et dont le château est une seconde peau. "Quand ma femme parle du manoir, elle dit que c’est un peu moi".

Aristo façon tweed

Un peu ? C’est… peu dire. Il fait chaque début de semaine l’aller-retour depuis Paris, pour recevoir les visiteurs qui veulent en savoir plus. Il a inventé une autre manière de jouer les guides-historiens pour faire apprécier au plus grand nombre, c’est-à-dire à tout le monde, les beautés architecturales, culturelles et quasi spirituelles d’un lieu comme celui-là. "On peut être monsieur tout le monde ou aristo façon tweed et s’émerveiller des mêmes choses".

Son credo est celui-là, depuis tout jeunot. "A huit ans, déjà, j’avais dit à mes parents que je voulais restaurer un château". Sans savoir où cela le mènerait, sans savoir à l’époque que le destin parfois cruel peut aussi vous nourrir de mille et belles choses. "La mort de ma mère à 48 ans m’a fait comprendre beaucoup de choses. Que l’éphémère doit nous faire redoubler d’énergie". Il n’en manque pas, toujours au four et au moulin pour faire tourner la "boutique".

Les visites du manoir lui couvrent à peine les frais fixes. "Chaque fois que j’entre sous le porche et regarde la façade, c’est comme s’il s’agissait de la première fois. C’est une magie". Tout compte fait, le conte de fée est une sacrée belle histoire.

Alain Fergent

Pratique. www.manoir-argouges.com